lundi 12 octobre 2009

- On s'en ira, on nous oubliera.

Elle avait un peu trop bu, lui aussi d’ailleurs. Ils se rencontrèrent au détour d’une rue passante, par un surprenant hasard. Certains pessimistes diraient que c’est le destin lui-même, présent au coin de cette ruelle, qui a, de sa main maléfique, provoqué cette coïncidence. Mais les deux concernés ne se posèrent aucune de ces questions futiles, quelle en serait l’utilité ? Ils commencèrent à parler sans vraiment rien se dire. Leurs regards se dévisageaient l’un l’autre, se dévoraient dans la nuit tombée, nuit des interdits, nuit des aventures. Une légère brise venait doucement caresser leurs visages passionnés, éphémères. Ils restèrent un petit moment, leurs yeux se confrontant, froncés, se sondant à la limite de la pudeur. Le temps s’arrêta. Plus un souffle, les fêtards se figèrent dans leur entrain. La terre cessa même de tourner pendant ce court instant dédié aux deux jeunes gens. On n'entendit plus le moindre bruit. La demoiselle cligna rapidement des paupières et la vie reprit son cours. Chacun vaqua à ses occupations, rattrapant les secondes perdues, à toute vitesse, laissant à ces deux âmes errantes encore un peu le simple plaisir de se regarder dans le blanc des yeux. Elle s’approcha de lui et, de manière enfantine, lui prit la main, l’entraînant derrière elle, dans ses pas fugitifs. Il la suivit, sans réfléchir, poussé par un élan de liberté, au fond, inexplicable. Sa paume dans la sienne, bras dessus bras dessous, encouragés par une force encore jamais égalée, ils se mirent à courir dans la grande avenue éclairée. Jouant des coudes, ils se frayèrent un passage au milieu de la foule ivre, de joie. Ils se perdirent de vue un instant qui leur parut une éternité. Sur la pointe des pieds tous les deux, ils se cherchèrent des yeux et furent rassurer de voir que leur partenaire n’était pas si loin. Tant bien que mal ils réussirent à se rejoindre et repartir aussitôt, d’une foulée commune. Ils parvinrent à une petite place en hauteur sur la ville. Au sommet du monde, sans lui lâcher le bras qu’elle tenait fermement, elle s’approcha du précipice et le regarda longuement. Il la tenait par les hanches, sans bouger, ni respirer, ni parler. Leur contemplation du silence était un dialogue complice. Elle se retourna vivement et lui sourit tendrement. Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa furtivement ses lèvres dans son cou. Aussitôt elle se détacha de ses bras et partit en sautillant, sans prendre le temps de se retourner une seule fois. Il resta stoïque, les bras ballants, la contemplant qui s’éloignait dans la nuit sombre. Elle continua de courir un moment, les lèvres étirées, puis tourna au coin d’une ruelle déserte et se heurta à une silhouette surgit de nulle part. Elle leva vivement les yeux vers l'inconnu. Il s’excusa silencieusement d’un geste. Ils ne bougèrent plus, se dévisageant un peu plus à chaque battement de cils. Elle avait un peu trop bu, lui aussi d’ailleurs. […]

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