Elle hésita longtemps avant de lui proposer de venir. Lui avant de l’accompagner. Mais ce n’était pas seulement pour elle qu’elle le faisait. Durant tout le trajet elle ne prononça pas un mot, lui la regardait de temps à autre du coin de l’œil. Elle alluma la radio afin de faire taire ce silence ambiant. Ils parvinrent jusqu’à cette lointaine campagne, et jusqu’à cette maison, perdue entre les champs. Elle descendit lentement de la voiture et regarda tendrement ce paysage qui avait bercé toute son enfance et son adolescence. Ensemble ils passèrent le portail, montèrent les quelques marches qui menaient à la porte d’entrée. Elle frappa deux ou trois coups rapides. A peine la porte fut ouverte qu’une petite fille courut se jeter dans les bras de son aînée. Ils pénétrèrent dans le minuscule vestibule. Il la suivait de près, hésitant, le regard curieux. Il serra des mains plus ou moins connues, embrassa des joues toutes aussi nouvelles. La majorité des regards étaient tournés vers sa seule présence. Il sentit un certain malaise, une certaine gêne monter en lui. En effet il n’avait jamais tellement apprécié être le centre ne serait-ce que de discussions le complimentant. Le salon était d’autant plus étroit qu’il était rempli de gens qui ne lui avait jamais été présentés mais qui souriaient, peut-être par simple politesse. La pièce respirait cette odeur de savon sucré et poussiéreux que portent inévitablement les personnes âgées. Elle lui saisit la main et l’entraina derrière elle jusqu’à un fauteuil reculé dans un coin de la salle. La jeune fille s’approcha de la grand-mère assise dans le fauteuil et lui chuchota quelque chose à l’oreille. Cet unique chuchotement suffit à éveiller la grand-mère qui leva les yeux dans la direction du garçon. Il avança maladroitement vers le fauteuil usé, toujours entraîné par la main de sa petite amie qui ne le lâchait pas. La mamie le fixa avec un sérieux qui l’effraya. Il tenta de la saluer en souriant mais ses lèvres restèrent figées, neutres. Elle ne baissa pas le regard, comme si elle fouillait au plus profond de son être cherchant un signe, une preuve, quelque chose d’indicible. S’en était trop, il détourna le regard, ne trouvant plus la force d’affronter cet interrogatoire silencieux. Bien heureusement le brouhaha ambiant remplissait la pièce, permettant ainsi au jeune garçon de se taire sans excuse. La jeune fille voguait aisément d’une personne à une autre, ce sourire radieux omniprésent sur ses douces lèvres. Elle parlait, riait, posait de temps en temps une main complaisante sur une épaule et repartait saluer d’autres gens qui l’accueillaient à bras ouverts. Lui prenait racine, n’osant plus tourner les yeux vers cette grand-mère qui le mettait mal à l’aise. Il sentait dans son cou son regard plissé mais n’osait lui faire face. Il cherchait un moyen de s’évader, mais il ne connaissait presque personne. Pourquoi l’avait-elle abandonné devant cette grand-mère muette ? Quel était le but de ce petit jeu ? Voir s’il allait craquer et perdre la partie ? Intimidé par la grand-mère de sa copine, il commençait presque à avoir honte de son attitude. Finalement pourquoi était-il venu ? Pour lui faire plaisir, parce qu’il lui avait promis depuis déjà longtemps qu’il serait présent le jour du centenaire. Et le voilà qui se retrouvait coincé entre les inconnus et la mamie qui ne le lâchait pas. Rien à faire, elle le regardait toujours avec autant de sévérité. Pourquoi ? Que cherchait-elle qui puisse la satisfaire et le laisser tranquille ? Il se trouva stupide et décida de reprendre le dessus. Il se retourna et opposa son regard à celui de la grand-mère. Ses yeux bleus étaient étrangement lumineux pour son âge. Il y demeurait une étincelle, prouvant bel et bien que la grand-mère était loin d’être gâteuse. Elle tentait de percer une carapace, d’infiltrer son être, il le sentait. Alors pourquoi ne pas faire comme la plupart des gens normaux et dialoguer afin de mieux se connaître et éviter ce malaise grandissant ? Il ouvrit la bouche. La grand-mère releva le menton, attendant qu’il prononce un mot. Mais il resta figé devant ses yeux bleus translucides. Il était rare d’en voir de semblables. On ne pouvait deviner ce qui se tramait dans la tête de cette femme âgée, même si, paraît-il, les yeux sont le miroir de l’âme. Alors le vent tourna, la tempête prit fin. Une lueur d’infime tendresse, maternelle, passa dans le regard de la grand-mère. Commander par élan indéfinissable, il s’accroupit aux côtés de cette vieille femme. Elle leva sa main ridée et, tremblante, lui passa sur la joue, comme on récompense un enfant ayant rendu service à autrui. Il se prit immédiatement d’affection pour cette grand-mère, il n’osait pas bouger, craignant de rompre cet instant unique. Elle lui sourit, et une larme inattendue roula sur sa joue plissée. Il ne savait comment réagir, il chercha des yeux sa petite amie qui lui viendrait au secours. Cette seule pensée, digne d’un message télépathique, suffis à la faire venir. Elle les regarda tous les deux avec amour. Elle passa un bras autour des épaules de sa grand-mère qui recula au fond de son fauteuil, comme si elle sortait d’une transe. Instantanément son regard se voila et redevint aussi sérieux qu’au départ. Etait-ce seulement un moment d’égarement pour cette mamie ? Lui rappelait-il quelqu’un en particulier ? Que s’était-il réellement passé durant cet instant, aussi fort était-il ? Il ne le sut hélas jamais. La grand-mère ferma les yeux. Sa petite amie le regarda avec fierté et l’entraîna à nouveau dans ses pas à la rencontre d’autres membres de la famille. Le reste de la journée s’écoula lentement mais sereinement. Le visage, à la fois sévère et si tendre, de cette grand-mère lui resta en mémoire longtemps. Au moment du départ, il voulut retourner la voir pour la saluer mais sa copine l’en empêcha. « C’est mieux comme ça » disait-elle. Mieux comme quoi ?
Puis ils repartirent tous les deux en voiture. Il ne comprenait toujours pas ce qu’il c’était passé dans le changement d’attitude de cette grand-mère. Était-ce seulement quelqu'un de lunatique ? Ils rentrèrent chez eux, elle souriait, comme d’habitude, sans aucune raison, juste parce que cela faisait partie d’elle, de sourire à tout bout de champ. Plusieurs semaines passèrent et le regard de cette femme âgée ne le quittait pas. Il s’imposait à sa mémoire. Pourquoi ? Quelques mois plus tard, ils reçurent un coup de téléphone leur annonçant le décès de la grand-mère.
Pourquoi ?
Puis ils repartirent tous les deux en voiture. Il ne comprenait toujours pas ce qu’il c’était passé dans le changement d’attitude de cette grand-mère. Était-ce seulement quelqu'un de lunatique ? Ils rentrèrent chez eux, elle souriait, comme d’habitude, sans aucune raison, juste parce que cela faisait partie d’elle, de sourire à tout bout de champ. Plusieurs semaines passèrent et le regard de cette femme âgée ne le quittait pas. Il s’imposait à sa mémoire. Pourquoi ? Quelques mois plus tard, ils reçurent un coup de téléphone leur annonçant le décès de la grand-mère.
Pourquoi ?
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