mardi 16 février 2010

- Leave out all the rest.

Il y a pleins de choses dans notre tête. [...] Il y a la musique et les écrivains. Des chemins, des mains, des tanières. Des bouts d'étoiles filantes recopiés sur des reçus de carte bleue, des pages arrachées, des souvenirs heureux et des souvenirs affreux. Des chansons, des refrains sur le bout de nos langues. Des messages archivés, des livres massues, des oursons à la guimauve et des disques rayés. Notre enfance, nos solitudes, nos premiers émois et nos projets d'avenir. Toutes ces heures de guet et toutes ces portes tenues. Les flip-flap de Buster Keaton. La lettre d'Armand Robin à la Gestapo et le bélier des nuages de Michel Leiris. La scène où Clint Eastwood se retourne en disant Oh...and don't kid yourself Fransesca...et celle où Nicola Carati soutient ses malades suppliciés au procès de leur bourreau. Les bals du 14 juillet à Villiers. L'odeur des coings dans la cave. Nos grands-parents, le sabre de Monsieur Racine, sa cuirasse luisante, nos fantasmes de provinciaux et nos veilles d'examen. L'imperméable de Mam'zelle Jeanne quand elle monte derrière Gaston sur sa moto. Les passagers du vent de François Bourgeon et les premières lignes du livre d'André Gorz à sa femme que Lola m'a lues hier soir au téléphone alors que nous venions encore de saquer l'amour pendant une plombe : "Tu vas avoir quatre-vingt deux ans. Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu es toujours belle, gracieuse et désirable." [...] L'odeur de la poussière et de pain sec des chevaux, le soir quand nous descendions du car. [...] La tête de Simon quand il a entendu Björk pour la première fois de sa vie et Monteverdi sur le parking du Macumba.

Toutes ces bêtises, tous ces remords, et nos bulles de savon à l'enterrement du parrain de Lola...
Nos amours perdues, nos lettres déchirées et nos amis au téléphone. Ces nuits mémorables, cette manie de toujours tout déménager et celui ou celle que nous bousculerons demain en courant après un autobus qui ne nous aura pas attendu.

Tout ça et plus encore.
Assez pour ne pas s'abîmer l'âme.
Assez pour ne pas essayer de discuter avec les abrutis.
Qu'ils crèvent.
Ils crèveront de toute façon.
Ils crèveront seuls pendant que nous serons au cinéma.

Voilà ce qu'on se dit pour se consoler de n'être partis ce jour-là.

On se rappelle aussi que tout ça, cette apparente indifférence, cette discrétion, cette faiblesse aussi, c'est la faute de nos parents.
De leur faute, ou grâce à eux.
Parce que ce sont eux qui nous ont appris les livres et la musique. Ce sont eux qui nous ont parlé d'autre chose et qui nous ont forcé à voir autrement. Plus haut, plus loin. Mais ce sont eux aussi qui ont oublié de nous donner la confiance. Ils pensaient que ça viendrait tout seul. Que nous étions un peu doués pour la vie et que les compliments gâcheraient l'ego.
Rien.
Ça n'est jamais venu.
Et maintenant nous sommes là.
Sublimes toquards. Silencieux face aux excités avec nos coups d'éclat manqués et notre vague envie de vomir.
Trop de crème pâtissière peut-être...


Anna Gavalda, L'échappée belle.

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